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Portrait d'alumni : Antony Bouthelier, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer

Parcours d'alumni

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10/07/2019

Anthony Bouthelier est diplômé de l'Inalco (hindi 1959, ourdou 1961). Aujourd'hui, administrateur des sociétés, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer, il était directeur général Asie et Afrique du groupe Pechiney et secrétaire général puis président délégué du Conseil des Investisseurs Français en Afrique.

Retour sur son parcours et ses expériences sur les territoires asiatique et africain :




La Découverte

Le bac en poche j’atterris en hindi chez Pierre Meile mais, pour rassurer des parents inquiets de ce choix farfelu, je m’inscris aussi en licence d’économie politique. Comment un élève du collège de Montargis, sous-préfecture du Loiret, peut-il avoir l’idée de Langues orientales ? En cours d’anglais je me fais surprendre à lire l’autobiographie de Gandhi, Mes expériences de vérité et le professeur étonné par le niveau de mon intérêt me punit de huit heures de colle pour achever la lecture de l’ouvrage. Plus tard un ami plus âgé, élève de grec moderne, me décrit les Langues’O avec sa palette de quatre-vingts langues.


Le Pakistan

Seul étudiant de troisième année d’ourdou je décroche mon diplôme que mon professeur André Guimbretière fait présider par Louis Massignon, c’est un grand moment ! Le Pakistan offre une bourse et bien entendu je suis désigné d’office. Le transport maritime existe encore et j’emprunte à Gênes, « la malle de Hong Kong » qui dessert toute l’Asie. À bord du « Victoria », qui ne comporte que deux classes, je suis en seconde, c’est une ambiance à la Conrad au milieu de militaires, trafiquants, diplomates...et paumés en tout genre avec des escales de légende. Je débarque à Karachi où malgré mon ourdou plus qu’hésitant les lieux me paraissent familiers. Un long trajet en train pour Lahore et me voilà le premier étudiant français accueilli au collège oriental de l’Université du Panjab. Ce collège est au cœur de ce qu’on appellera plus tard l’intégrisme pakistanais qui sera la matrice des talibans afghans. […] Ainsi au cours des mois, améliorant mon ourdou, je vis le meilleur et le pire d’un État qui, privé de la confrontation intellectuelle et du métissage culturel, s’enfonce depuis son isolement, dans une déviance islamique appauvrissante. Quelques incursions en Inde me permettent notamment de visiter Chandigarh réalisant le rêve que le Corbusier avait déclenché en Sorbonne où il avait exposé son projet. Lahore est aussi l’étape des aventuriers qui venant d’Iran et d’Afghanistan se rendent en Inde et l’étudiant français du coin joue les guides ou l’intercesseur auprès des autorités en cas de difficultés. Mais il faut rentrer et je reprends le bateau à Karachi pour Gênes. […]


Quel métier ?

[A mon retour en France] Je résilie mon sursis et suis incorporé comme seconde classe dans les transmissions et, Langues’O oblige, affecté au chiffre. Je réussis le concours des Elève officier de réserve (EOR) et rejoins l’École d’Application mais mon « peloton » commence par huit jours de prison pour permission abusive. […] Je sors sous-lieutenant de mon peloton et demeure dans la même caserne pour encadrer la promotion suivante comme chef de brigade EOR. […]

Arrive le temps d’éplucher les offres d’emplois et j’opte pour l’analyse financière dans une société franco-américaine d’investissement dirigée par Pierre Philippe qui évolue dans ce qu’on appelle la « haute finance » et me fait croiser des personnalités telles que David Rockefeller ou Sigmund Warburg. Cinq années d’excellente formation mais l’aspect exclusivement intellectuel me pèse, l’action me manque. J’embauche à la SEMA comme consultant mais, fausse route, conseiller et épaissir des rapports pour que le client en ait pour son argent n’est pas mon truc et je tiens à peine un an. Mon premier emploi m’a estampillé « financier » et Pechiney m’embarque à sa direction financière après une série d’entretiens où le psychologue intrigué par mes vagabondages orientalistes exerce une influence déterminante.

Quelques mois plus tard c’est la fusion avec Ugine Kuhlmann et l’on me confie l’un des trois services financiers du nouveau groupe, en charge notamment de l’introduction du titre aux bourses de Londres, New-York et Tokyo. Je retrouve le large, et après quatre années, le directeur international de P.U.K. découvre fortuitement qu’existe à l’effectif un ancien étudiant de l’Université du Panjab ! Il n’a rien à m’offrir en Asie et me propose la délégation en Afrique de l’Ouest à Abidjan. Nous sommes en 1974 en plein « miracle ivoirien » sous la houlette d’Houphouët Boigny et je construis deux usines, « IVOIRAL » pour la transformation de l’aluminium et « SICABLE » pour la fabrication de câbles électriques isolés en cuivre. C’est l’époque où se constitue la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest « CEDEAO » à laquelle participent aussi le Nigéria et le Ghana. Au cours d’un entretien avec le Président Houphouët je m’inquiète du poids démographique du Nigéria et d’un risque d’influence dominante. Il me répond que les dirigeants anglophones ne parleront jamais le français et qu’il incitera les élites ivoiriennes à apprendre l’anglais ce qui leur permettra de dominer les débats. L’avenir ne lui donnera pas tort.


Singapour

Pour mes bons services africains on me nomme directeur général d’une filiale française « STRATINOR » spécialisée dans les plastiques. À peine trois années s’écoulent que P.U.K. découvre l’Asie et au sein d’une direction Asie Pacifique me confie la création à Singapour d’une délégation en Asie du Sud-Est, le rêve ! 1981, c’est six ans après l’entrée des Nord Vietnamiens à Saigon et Kissinger en déduit que si les plus puissants du monde ont été défaits rien ne résistera aux communistes et il en échafaude son ânerie majeure : la théorie des dominos. En réalité, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour… bouillonnent de projets et d’investissements. Dans cette frénésie d’initiatives, il y a à Singapour à peine un millier de Français face à vingt mille Japonais, dix mille Américains et cinq mille Britanniques. Le conseiller commercial de notre ambassade Thierry Reynard m’explique que pour être prise au sérieux, la communauté d’affaires française doit être représentée par une grande société et comme P.U.K. est alors le plus important groupe privé français je dois présider la Chambre de Commerce française appelée « F.B.A (French Business Association) ». C’est une folle aventure qui dure six ans. J’ai d’abord la chance d’être entouré de responsables français dont l’infériorité numérique à Singapour exacerbe l’esprit « pionnier » et décuple la volonté de conquête. […] 

Les temps ont changé je crois. L’épopée singapourienne arrive à son terme et pour quelques mois je suis l’adjoint, à Paris, du directeur international qui me charge de négocier avec la Chine un transfert de technologie. […]


Sydney

C’est en Australie que se situe notre base industrielle pour la région et je deviens à Sydney, président d’Asie Pacifique pour P.U.K. Nos débouchés sont principalement le Japon, la Chine, l’Asie du Sud-est mais je me consacre à nos établissements de production en Tasmanie, Queensland et Nouvelles Galles du Sud. […]


Paris et l’Afrique

Je rentre à Paris pour devenir directeur des affaires africaines. La direction des affaires africaines gère deux grandes sociétés, Aluminium du Cameroun « Alucam » et en Guinée, Friguia, détenue à 51 % par un consortium réunissant Pechiney, le canadien Alcan, l’américain Noranda et le norvégien Norks Hydro, l'Etat guinéen détient 49 %. Friguia gère la seule usine d'alumine (oxyde d'aluminium) du continent africain et les mines de bauxite qui l'approvisionnent. Je préside le consortium majoritaire et deviens vice-président de Friguia dont le Président est le ministre des Mines représentant l’État guinéen. Ces précisions ennuyeuses sont nécessaires pour comprendre pourquoi après plus de quarante ans de présence en Guinée, Pechiney et ses partenaires doivent abandonner ce pays. Contrairement au gouvernement du Cameroun qui, à égalité avec Pechiney dans le capital d’Alucam, laisse le professionnel gérer l’usine d’électrolyse depuis plus de cinquante ans, les autorités guinéennes interfèrent constamment dans la gestion de l’usine de Friguia et provoquent des pertes qui alimentent des poches profondes.

[…] Entre temps, la privatisation de Pechiney fait de moi un administrateur de la société. Pendant six ans je siège parmi des personnalités de grande qualité mais je ne peux que constater les méfaits du capitalisme bancaire.

[…]


Le CIAN

À la fin de mon temps à Pechiney on m’offre de devenir consultant sur l’Asie, je refuse pour me consacrer à l’Afrique et accepte de devenir Secrétaire général et plus tard Président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique – le CIAN. Le CIAN est une organisation à laquelle adhèrent, sur un double parrainage, les entreprises investies sur le continent africain. Pourquoi ce choix ? L’Afrique ne va pas bien, elle est la seule partie du monde où le sous-développement demeure encore le défi de tout un continent alors que partout ailleurs il devient l’exception, songeons à l’Asie ou à l’Amérique latine. La relation de la France, de l’Europe avec l’Afrique est singulière et il ne peut y avoir une Europe prospère avec à sa porte une Afrique misérable. Or l’Afrique est riche de ressources humaines, minérales et agricoles et son malheur est essentiellement politique.

[…]


Synthèse d’un entretien mené en 2014 pour la revue Orient, sous la direction de Françoise Moreux (à retrouver en intégralité sur http://anciens.inalco.free.fr/plouc.htm)


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