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Décès de Joseph (Deth) Thach, maître de conférences en linguistique khmère à l'Inalco

Nouvelles du réseau et de l'Inalco

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04/03/2020

Chers anciens élèves,


C’est avec une très grande tristesse que je vous fais part, en associant  le Département Asie du Sud-Est et Pacifique, la section de khmer et l’UMR SeDyL, de la disparition brutale le 28 février 2020 à Phnom Penh, de Joseph (Deth) Thach, maître de conférences en linguistique khmère à l’Inalco.


 Né en 1976, quelques mois après la prise de contrôle du Cambodge par les Khmers rouges, Joseph Thach survit avec les siens dans la province de Kratié d’où ses parents sont natifs. La chute du régime Khmer Rouge intervenue en 1979 leur permet de revenir à Phnom Penh, où ils résident quelques temps avant de prendre le chemin des camps de la frontière khméro-thaïlandaise. Il y vivra une décennie avant d’être accueilli, comme beaucoup de Cambodgiens, par une famille française. Placé tôt au contact de la diversité des langues à laquelle il restera sensible, son enfance le voit ainsi manier le khmer, le thaï, qui se pratiquait dans les camps, et bientôt le français avec sa famille d’accueil, sans oublier le parler marseillais qu’il assimile dans les rues de la cité phocéenne où résident ses deux familles, biologique et d’adoption. Doué en même temps que travailleur acharné, il rattrape méthodiquement son retard scolaire jusqu’à passer un baccalauréat scientifique en 1996.


 

C’est alors qu’il s’oriente vers l’apprentissage académique du khmer et du siamois, à l’Inalco. Cette redécouverte des langues de son enfance par le truchement de la norme écrite l’orientera bientôt vers une théorie linguistique apte à rendre compte non seulement de la diversité des langues, mais encore de la singularité de celles-ci, notamment à travers l’écart qui se laisse observer entre normes écrites et pratiques orales. Bientôt titulaire d'une licence de khmer et d'une licence de siamois, un temps chargé de cours de français à l'université de Silpakorn, où il s’était rendu pour parfaire son thaï, il passe un DREA puis un DEA de khmer. Sous la direction de Michel Aufray, il y utilise les outils de la théorie de l’énonciation d’Antoine Culioli pour comprendre la fonction des « petits mots » – comme les qualificatifs et déterminants nominaux, ou les déictiques spatiaux – dont les grammaires du khmer, aux catégories calquées sur les langues indo-européennes, ne parviennent pas à rendre compte. Entre France et Cambodge, la préparation de sa thèse de doctorat sera féconde à tout point de vue. Il suit les cours d’épigraphie de Madame Saveros Pou, doyenne des études khmères, enseigne la linguistique à l’Université Royale des Beaux-Arts ainsi qu’à l’Université royale de Phnom Penh, et fait son miel des différents parlers qu’il côtoie au gré de ses pérégrinations de terrain, chez les Khmers de Surin, en Thaïlande, chez les Khmers du delta du Mékong, au Sud-Vietnam, et dans diverses provinces du Cambodge. Sa thèse de doctorat (2007, publiée chez Peter Lang L’indéfinition en khmer, du groupe nominal au discours. Études des particules naa ណា et ʔəj អី en 2013) qui porte sur deux marqueurs de l’indéfinition en khmer profitera de ces approches à la fois diachroniques (de l’épigraphie vieux khmer au khmer contemporain) et régionales, et recevra le prix de la meilleure thèse de l’Inalco.


 


En 2009, Joseph Thach devient maître de conférence en linguistique khmère à l'Inalco et chercheur associé au Centre Asie du Sud-Est (CASE, UMR 8170). En 2010, il est membre fondateur du laboratoire SeDyL (Structure et Dynamique des Langues, UMR8202), où son dynamisme, son implication dans la vie du laboratoire et son investissement dans la recherche seront immédiatement remarqués et appréciés de tous.


 

Tandis qu’il pose les jalons d’une grammaire du khmer dans ses cours de linguistique, son énergie et son habileté le voient rapidement mettre sur pied un projet de coopération scientifique de vaste envergure entre les mondes universitaires français et cambodgiens, dont l’Inalco sera le pivot. Généreux, doté d’une force de travail peu commune, il excelle en effet à faire converger des collègues venus d’horizons épars dans une même direction. Le projet Manusastra voit le jour en 2012, avant de s’étoffer au gré des soutiens institutionnels qu’il parvient à lui agréger (l’Inalco, l’URBA, SeDyL et l’IRD, le CASE, l’AUF, les ministères de la Culture et de l’Education cambodgiens, l’UNESCO, etc.). Destiné à permettre l’émergence d’un tissu local de recherche en sciences humaines et sociales au Cambodge, il consiste au départ en la mise en place d’un enseignement de licence francophone à l’Université Royale des Beaux-Arts de Phnom Penh (URBA), sanctionné par une double diplomation Inalco-URBA, bientôt suivi d’un mastère (depuis 2014). Accueilli par la Faculté d’Archéologie de l’Université Royale des Beaux-Arts où s’enseignait le plus complet des cursus d’études khmères, le programme visait à donner à ses étudiants des outils complémentaires pour se réapproprier la science disponible dans le monde académique sur le Cambodge, et plus largement sur l’Asie du Sud-Est, à travers trois disciplines (histoire, anthropologie, linguistique). Un nouvel accord de coopération en décembre 2019 venait d’élargir la portée du projet Manusastra à trois Universités Cambodgiennes l’URBA, l’URPP et l’INE.


 

Enthousiaste et persuasif, Joseph Thach parvient à fédérer autour de lui un nombre impressionnant de collègues, sensibilisant ceux qui n’y connaissaient pas grand-chose à la situation au Cambodge – leur faisant découvrir avec passion certains traits de la culture, depuis le théâtre des ombres jusqu’aux spécialités culinaires – et convainquant chacun de l’importance de son action. Des dizaines d’enseignants-chercheurs se sont ainsi rendus régulièrement à Phnom Penh pour y enseigner en même temps que participer à d’autres projets vite agrégés au premier, ou qui en ont été des prolongements : colloques internationaux (sur La conscience du passé, La temporalité, Les langues et l’éducation en Asie du Sud Est), séminaires et journée d’études (Les pratiques et les représentations collectives de l’espace), et publications associées. Le projet européen GeReSH-CAM (Gouvernance et émergence de la recherche en sciences humaines au Cambodge 2016-2019), a poursuivi au niveau doctoral le projet Manusastra. Il a débouché sur la création d’un Centre de recherche Inter-universitaire en sciences humaines et sociales CHaS ! dont il était l’actuel directeur.


 

A travers ces projets ambitieux, il n’a cessé de défendre une conception exigeante de la recherche, à commencer par celle de sa discipline envisagée à travers l’approche culiolienne qu’il incarnait avec vigueur et enthousiasme pour le domaine cambodgien. C’est celle qu’il exposait régulièrement dans le cadre du séminaire Langue, histoire et sources textuelles du Cambodge ancien et moderne (EHESS-Inalco-CASE) qu’il co-animait depuis 2013, éclairant d’un nouveau jour textes lapidaires vieux khmer ou des textes juridiques post-angkorien par la finesse de ses analyses. Au sein du SeDyL, ses descriptions novatrices de formes du khmer alimentaient un dialogue constamment renouvelé avec les spécialistes des langues diverses, et constituaient un précieux terreau propice au questionnement des catégories établies et à l’élaboration de principes de comparabilité des langues.


 

En délégation à l’Institut de Recherche pour le Développement depuis 2017, il était affecté au Cambodge jusqu’en octobre 2020. Il pilotait Manusastra, conduisait le projet Geresh-Cam à son aboutissement, était en train d’élaborer de nouveaux projets de recherche internationaux, en même temps qu’il travaillait à son Habilitation à Diriger des Recherches. La récente disparition de Gilles Delouche, son professeur de siamois et à bien des égards son mentor à l’Inalco, l’avait profondément affecté.


 

Au-delà de son implication dans l’enseignement, la recherche en linguistique et la coopération universitaire franco-cambodgienne, Joseph Thach aura marqué ceux qui l’ont connu par sa personnalité. Son caractère généreux, passionné, chaleureux, son sens aigu de la convivialité et son indéfectible bonne humeur expliquent aussi l’immensité du vide qu’il laisse dans notre communauté, aussi bien pour ses collègues enseignants, chercheurs et administratifs que pour ses étudiants qui savent avec quel dévouement il s’est investi pour leurs études.


 

Sa disparition est une grande perte pour l’Inalco, mais aussi et avant tout pour sa famille et ses amis fidèles.


 

La cérémonie de crémation aura lieu mercredi 4 mars à Phnom Penh et se poursuivra pendant 7 jours selon le rite bouddhiste. Je remercie Manuelle Franck, l'ancienne présidente de l'Inalco, d'avoir accepté de représenter notre établissement à Phnom Penh pour la cérémonie du 4 mars.


 


Un registre de condoléances sera ouvert dès aujourd'hui à l'accueil sur le site des Grands Moulins pour celles et ceux qui souhaitent témoigner de leur affection et de leur amitié à Joseph Thach. Le registre sera remis à la famille ultérieurement.


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