# FLE /LE THÉÂTRE COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE : QUELLES PRATIQUES ?
16/02/2017
Article paru dans Recherches et applications N° 60 : “L’ORAL PAR TOUS LES SENS : DE LA PHONÉTIQUE CORRECTIVE À LA DIDACTIQUE DE LA PAROLE ». Ouvrage coordonné par Laura Abou Haidar et Régine Llorca, juillet 2016.
Introduction
Cet article s’inscrit dans la réflexion pédagogique. Il n’a pas l’ambition d’être une recherche didactique universitaire, non plus qu’une présentation de la rhétorique, qu’elle soit grecque et codifiée par Aristote ou bien latine et remise à jour par Quintilien. Nous nous penchons sur ce que les enseignants ou formateurs de langues, de FLE (français langue étrangère) ou de FLM (français langue maternelle), baptisent de nos jours « théâtre » et qu’ils intègrent à leurs activités pédagogiques sous des formes innovantes. Ce sont ces innovations, toujours plus nombreuses, qui nous interpellent : peut-on les répertorier et essayer de les distinguer les unes des autres en tant qu’outils pédagogiques ?
En effet l’utilisation du « théâtre » comme outil didactique a des caractéristiques différentes selon les publics, les niveaux de langues, les contenus et les compétences visées.
Nous nous référons à ce que nous avons observé auprès de collègues, ainsi qu’à notre expérience de formateur de formateurs en France et à l’étranger, trois grands domaines d’utilisation pédagogique se distinguent dans le cadre d’un cours ou d’une formation :
Les activités ludiques en classe de langue ;
L’art oratoire en cours de français et en français;
La mise en scène d’une œuvre théâtrale en cours de langue.
LES ACTIVITÉS LUDIQUES EN CLASSE DE LANGUE
Déclencheur de parole, c’est le théâtre tel que les professeurs l’utilisent avec leurs élèves sous forme de jeux ou d’activités pédagogiques dans le cadre d’une classe de FLE, et principalement à des niveaux débutants du CECRL. Ces activités ludiques, qui se déroulent en grand groupe ou en sous-groupes, ont pour objectif de faire surgir des actes de parole, de libérer l’expression pour entrer en communication avec les autres.
Une des caractéristiques de ce champ d’application du théâtre en classe de FLE est l’omniprésence accordée au corps, le recours au geste associé au son : il s’agit de faire s’exprimer l’apprenant en réponse à des situations didactiques proposées. Pour cela, on fait appel à des réactions de sa part qui mettent en jeu le corps, la voix, le rythme, etc. et relèvent largement de l’expression corporelle, principalement lorsque ces activités s’adressent à des petits ou à des débutants complets. En vue d’amener l’élève à une production orale spontanée, les situations ou activités ludiques reposent souvent sur des « règles du jeu » : association de la gestuelle et du mot, parfois d’un son-bruit choisi par l’apprenant, simultanéité entre le mot et le vécu personnel et/ou culturel, structuration par le corps d’une chaîne sonore dans l’espace, bref une mise en situation destinée à déclencher un échange. Dans tous les cas, ce n’est pas la phonétique ou la prononciation qui est visée, mais les attitudes dans leur globalité expressive et significative. Pratiquées à différents niveaux du CECRL, ces activités peuvent aussi être intégrées à un parcours d’apprentissage linguistique et déterminées par la compétence que le professeur souhaite développer : raconter, lire à haute voix, interpréter des tableaux vivants, improviser, etc.
Le plus souvent limitées à une séance de travail, ces activités sont indépendantes les unes des autres. Elles peuvent se conclure par une prestation personnelle ou de groupe, mais il ne s’agit pas d’une tâche collective ayant pour but une représentation publique, un spectacle, à la différence de la mise en scène-FLE. Il est vrai qu’il existe un cas intermédiaire où l’enseignant se sert de ce qui a été écrit à destination des apprenants, comme les saynètes pour enfants et les sketches ou courtes pièces en un acte, qui donne lieu à un travail de montage et de représentation, mais à titre interne.
Insérées dans le quotidien de la classe, ces activités ludiques théâtrales ont un rôle de dynamisation de la langue orale, certes, mais plus justement de déblocage, de développement personnel et de savoir-être communicatif : s’exprimer, faire sens pour autrui.
L’ART ORATOIRE EN COURS DE FRANÇAIS ET EN FRANÇAIS
Nous entendons par l’art oratoire, la dimension technique et esthétique de la parole, considérée ici seulement dans le domaine du théâtre. On parle aussi de diction, mais ce terme a un sens plus restreint.
C’est un ensemble de théorie et de techniques qui sont normées et codifiées. Son apprentissage est à la base de la formation de l’acteur : un ensemble de stratégies et de savoir-faire qui constituent ses compétences professionnelles. La formation comporte diverses rubriques : une composante prosodique et orthoépique ; la diction et ses formes, articulées ou enchaînées ; la maîtrise de la voix et de ses réalisations spatiales ; l’impact du rythme pour soi et les autres ; l’articulation et les pièges de la phonétique ; le phrasé et l’intonation ; les pauses et leurs usages ; l’équilibre et la présence, etc. D’autres facteurs entrent en jeux comme le développement des atouts personnels et les « trucs » d’acteurs.
Dans le cadre du FLE, du FOS ou du FOU, l’art oratoire ne sera plus utilisé pour libérer la parole, mais pour donner les outils d’une expression maîtrisée. Dans le cas du cours d’oral en FLE, c’est la production orale des apprenants qui est visée par divers exercices à base d’art oratoire. Dans le cas du FOS ou du FOU, c’est la portée du message, sa réception et sa restitution qui sont en jeu ; c’est le domaine de la compréhension orale.
Une application possible en cours d’oral est de transposer les techniques oratoires dans le cadre d’exercices de groupes afin d’animer le cours. L’intérêt de cette expérience est de développer chez les apprenants des compétences personnelles, parallèlement à une remédiation phonétique progressive intégrant la composante audio-phonatoire. Les exercices de groupe doivent permettre de construire chez chacun un savoir-faire qui passe par le plaisir du son et la confrontation de nuances. On peut ainsi travailler sur diverses formes d’élocution, le passage d’une voix à une autre, son placement, la production du sens et du non-sens, le son et la ponctuation, la course aux syllabes, etc. Le principal est de promouvoir, chez chacun, la production du son le plus juste et de l’amener progressivement à une réalisation de référence.
La dynamique de groupe, l’entraide, les corrections et les évaluations font appel à une compétence à laquelle on ne pense pas toujours en matière de phonétique : s’amuser. Ainsi, se préparer des dictées-piège de groupe à groupe, reconstituer une histoire à partir de notes/sons prises en commun, travailler l’enchaînement rythmé ou l’exercice que nous proposons souvent, à savoir déchiffrer un texte « illisible » en rythme et à plusieurs, sont autant de mises en situation qui font de l’art oratoire un outil innovant et de plaisir. C’est un outil qui, par le biais d’une approximation collective de groupe, partant du flou vers le son authentique, permet au professeur de gérer progressivement la mise en place du modèle optimal.
Une autre application possible de l’art oratoire que nous promouvons est son réinvestissement dans le domaine professionnel. C’est le cas du FOS et du FOU qui peuvent y avoir recours pour mieux transmettre des connaissances non linguistiques lors d’un cours en français. Sont en jeu dans ce cas l’orateur lui-même, la façon dont il est entendu et compris, sa présence, ses atouts personnels et le fait de « passer la rampe ». La formation s’inscrit dans le domaine disciplinaire et ne repose que sur des ressources professionnelles ; dans ce cadre, elle vise des compétences d’acteur, telles que maintenir l’attention et avoir une bonne tenue de voix, mais aussi des compétences propres à communiquer efficacement, dans le domaine en cause, avec son public étudiant. C’est pourquoi, une fois que le professeur s’est approprié les bases techniques, le travail de fond consiste à adapter son discours au public et à ses capacités d’écoute, à la situation spatiale et technique : parler dans un micro face au public ne demande pas les mêmes compétences que présenter un support visuel de profil et en plan d’ensemble ; prendre la parole dans un amphithéâtre est autre chose que d’expliquer une expérience sur une paillasse, avec les étudiants regroupés autour de soi, etc.
Reste en face : l’étudiant, ce qu’il entend et ce qu’il a entendu. La réception d’un message oral, l’intelligibilité des informations se passent difficilement de leur restitution ce public. L’exploitation d’une formation à l’utilisation des techniques oratoires, en FOU, c’est le traitement de l’information orale reçue par les étudiants : l’entraînement des étudiants à la prise de notes orales et à leur mémorisation, préférablement commune ; la restitution orale avant que d’être écrite. Avec ces moyens techniques, la langue de cours entre dans un « sonore » maîtrisé par le professeur et les étudiants.
LA MISE EN SCÈNE D’UNE ŒUVRE THÉÂTRALE EN COURS DE LANGUE
La mise en scène en FLE ou en FLM, telle que nous l’avons expérimentée en France et à l’étranger, est une nouvelle forme d’appréhension du texte et un nouveau projet pédagogique.
L’objectif est la représentation publique d’une œuvre du patrimoine par les apprenants. Si ce qui relève des activités ludiques et des techniques oratoires peut être utilisé à tous les niveaux du CECRL (Cadre européen commun de Référence pour les langues), la mise en scène d’une œuvre n’est possible qu’à partir d’un niveau B2-C1. Nous alléguerons non seulement les difficultés linguistiques, mais aussi le fait qu’il s’agit d’une tâche collective de longue haleine, avec des responsabilités partagées et un engagement de chacun envers le groupe. Sa réussite demande la répartition dans le temps des activités et la définition et l’attribution de responsabilités partagées : il importe que chacun ait sa place et son rôle dans la construction de la représentation.
Pour ce qui est des étapes incontournables, elles interfèrent les unes avec les autres sans pour autant se succéder. Certaines de ces étapes sont classiques : compréhension de l’histoire, articulation des événements et didascalies, repérage des actes et des scènes, découverte des personnages et caractérisation. D’autres épisodes de travail sont plus techniques : passage de la lecture silencieuse à l’oralisation, mise en voix, appropriation et maîtrise des sons, projection de la voix dans l’espace. Quant aux coupures, à la réécriture et aux adaptations, elles sont structurées au fil des répétitions.
Le travail d’acteur engage le corps et la production orale dans la perception d’un nouvel espace, c’est pourquoi la première étape pour le formateur est la plus difficile : faire passer les apprenants de l’espace classe à l’espace scène, les faire « monter » sur scène pour entrer dans le rôle de l’acteur. Moment difficile à plusieurs égards : l’acteur est celui que l’on voit et qui se sait vu, il est au centre d’un dispositif scénique qui suppose s’orienter sur scène, repérer de nouvelles frontières d’action et de parole, mémoriser les entrées et les sorties, connaître les limites du plateau, etc.
Reste enfin l’organisation du groupe autour d’une multiplicité de tâches intermédiaires et contextualisées qui convergent toutes vers la représentation finale. Chacun doit avoir un rôle attribué, quitte à inventer de nouvelles fonctions si le groupe est important. Conjointement à une distribution classique, comportant souffleurs, D.J., doublures, accessoiristes, maquilleurs, etc., la création d’un groupe « minutage » est par exemple possible pour la tenue du rythme de la pièce, les enchaînements, les reprises, tout ce qui donne finalement l’harmonie et la cadence du texte oral. On peut aussi imaginer le groupe « le public du dernier rang », chargé de vérifier la bonne portée et la tenue des voix, leur retour, la vitesse d’élocution, etc. Toutes ces fonctions aboutissent à traiter la production orale de façon collective et dans sa relation avec des composantes nouvelles, spatiale, acoustique et temporelle. Réception par le groupe du phrasé et de la gestuelle construite par la mise en scène commune, la mise en scène-FLE est l’appropriation d’une œuvre et sa transmission orale. C’est la parole de la littérature réexprimée par le groupe.
Le théâtre en tant qu’activité pédagogique en cours d’oral avec ses différentes facettes, a le grand intérêt, hormis les extraordinaires progrès que l’on constate dans les compétences langagières, culturelles et de communication, de développer de nouvelles aptitudes à parler. A être oralement. Quelle que soit la façon dont on l’intègre à un cours, cours de français ou bien cours en français, les activités ludiques théâtrales, l’art oratoire, la mise en scène, sont des approches didactiques qui mettent en jeu l’aspect sonore de la langue, ouvrent la voie à une réflexion portant sur une nouvelle compétence : « Passer la rampe », oser.
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# FLE /LE THÉÂTRE COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE : QUELLES PRATIQUES ?
2017-02-16 15:33:12
alumni.inalco.fr
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2017-02-24 13:21:33
2017-02-16 15:33:12
REGINE DAUTRY-NORGUET
Article paru dans Recherches et applications N° 60 : “L’ORAL PAR TOUS LES SENS : DE LA PHONÉTIQUE CORRECTIVE À LA DIDACTIQUE DE LA PAROLE ». Ouvrage coordonné par Laura Abou Haidar et Régine Llorca, juillet 2016.
Introduction
Cet article s’inscrit dans la réflexion pédagogique. Il n’a pas l’ambition d’être une recherche didactique universitaire, non plus qu’une présentation de la rhétorique, qu’elle soit grecque et codifiée par Aristote ou bien latine et remise à jour par Quintilien. Nous nous penchons sur ce que les enseignants ou formateurs de langues, de FLE (français langue étrangère) ou de FLM (français langue maternelle), baptisent de nos jours « théâtre » et qu’ils intègrent à leurs activités pédagogiques sous des formes innovantes. Ce sont ces innovations, toujours plus nombreuses, qui nous interpellent : peut-on les répertorier et essayer de les distinguer les unes des autres en tant qu’outils pédagogiques ?
En effet l’utilisation du « théâtre » comme outil didactique a des caractéristiques différentes selon les publics, les niveaux de langues, les contenus et les compétences visées.
Nous nous référons à ce que nous avons observé auprès de collègues, ainsi qu’à notre expérience de formateur de formateurs en France et à l’étranger, trois grands domaines d’utilisation pédagogique se distinguent dans le cadre d’un cours ou d’une formation :
Les activités ludiques en classe de langue ;
L’art oratoire en cours de français et en français;
La mise en scène d’une œuvre théâtrale en cours de langue.
LES ACTIVITÉS LUDIQUES EN CLASSE DE LANGUE
Déclencheur de parole, c’est le théâtre tel que les professeurs l’utilisent avec leurs élèves sous forme de jeux ou d’activités pédagogiques dans le cadre d’une classe de FLE, et principalement à des niveaux débutants du CECRL. Ces activités ludiques, qui se déroulent en grand groupe ou en sous-groupes, ont pour objectif de faire surgir des actes de parole, de libérer l’expression pour entrer en communication avec les autres.
Une des caractéristiques de ce champ d’application du théâtre en classe de FLE est l’omniprésence accordée au corps, le recours au geste associé au son : il s’agit de faire s’exprimer l’apprenant en réponse à des situations didactiques proposées. Pour cela, on fait appel à des réactions de sa part qui mettent en jeu le corps, la voix, le rythme, etc. et relèvent largement de l’expression corporelle, principalement lorsque ces activités s’adressent à des petits ou à des débutants complets. En vue d’amener l’élève à une production orale spontanée, les situations ou activités ludiques reposent souvent sur des « règles du jeu » : association de la gestuelle et du mot, parfois d’un son-bruit choisi par l’apprenant, simultanéité entre le mot et le vécu personnel et/ou culturel, structuration par le corps d’une chaîne sonore dans l’espace, bref une mise en situation destinée à déclencher un échange. Dans tous les cas, ce n’est pas la phonétique ou la prononciation qui est visée, mais les attitudes dans leur globalité expressive et significative. Pratiquées à différents niveaux du CECRL, ces activités peuvent aussi être intégrées à un parcours d’apprentissage linguistique et déterminées par la compétence que le professeur souhaite développer : raconter, lire à haute voix, interpréter des tableaux vivants, improviser, etc.
Le plus souvent limitées à une séance de travail, ces activités sont indépendantes les unes des autres. Elles peuvent se conclure par une prestation personnelle ou de groupe, mais il ne s’agit pas d’une tâche collective ayant pour but une représentation publique, un spectacle, à la différence de la mise en scène-FLE. Il est vrai qu’il existe un cas intermédiaire où l’enseignant se sert de ce qui a été écrit à destination des apprenants, comme les saynètes pour enfants et les sketches ou courtes pièces en un acte, qui donne lieu à un travail de montage et de représentation, mais à titre interne.
Insérées dans le quotidien de la classe, ces activités ludiques théâtrales ont un rôle de dynamisation de la langue orale, certes, mais plus justement de déblocage, de développement personnel et de savoir-être communicatif : s’exprimer, faire sens pour autrui.
L’ART ORATOIRE EN COURS DE FRANÇAIS ET EN FRANÇAIS
Nous entendons par l’art oratoire, la dimension technique et esthétique de la parole, considérée ici seulement dans le domaine du théâtre. On parle aussi de diction, mais ce terme a un sens plus restreint.
C’est un ensemble de théorie et de techniques qui sont normées et codifiées. Son apprentissage est à la base de la formation de l’acteur : un ensemble de stratégies et de savoir-faire qui constituent ses compétences professionnelles. La formation comporte diverses rubriques : une composante prosodique et orthoépique ; la diction et ses formes, articulées ou enchaînées ; la maîtrise de la voix et de ses réalisations spatiales ; l’impact du rythme pour soi et les autres ; l’articulation et les pièges de la phonétique ; le phrasé et l’intonation ; les pauses et leurs usages ; l’équilibre et la présence, etc. D’autres facteurs entrent en jeux comme le développement des atouts personnels et les « trucs » d’acteurs.
Dans le cadre du FLE, du FOS ou du FOU, l’art oratoire ne sera plus utilisé pour libérer la parole, mais pour donner les outils d’une expression maîtrisée. Dans le cas du cours d’oral en FLE, c’est la production orale des apprenants qui est visée par divers exercices à base d’art oratoire. Dans le cas du FOS ou du FOU, c’est la portée du message, sa réception et sa restitution qui sont en jeu ; c’est le domaine de la compréhension orale.
Une application possible en cours d’oral est de transposer les techniques oratoires dans le cadre d’exercices de groupes afin d’animer le cours. L’intérêt de cette expérience est de développer chez les apprenants des compétences personnelles, parallèlement à une remédiation phonétique progressive intégrant la composante audio-phonatoire. Les exercices de groupe doivent permettre de construire chez chacun un savoir-faire qui passe par le plaisir du son et la confrontation de nuances. On peut ainsi travailler sur diverses formes d’élocution, le passage d’une voix à une autre, son placement, la production du sens et du non-sens, le son et la ponctuation, la course aux syllabes, etc. Le principal est de promouvoir, chez chacun, la production du son le plus juste et de l’amener progressivement à une réalisation de référence.
La dynamique de groupe, l’entraide, les corrections et les évaluations font appel à une compétence à laquelle on ne pense pas toujours en matière de phonétique : s’amuser. Ainsi, se préparer des dictées-piège de groupe à groupe, reconstituer une histoire à partir de notes/sons prises en commun, travailler l’enchaînement rythmé ou l’exercice que nous proposons souvent, à savoir déchiffrer un texte « illisible » en rythme et à plusieurs, sont autant de mises en situation qui font de l’art oratoire un outil innovant et de plaisir. C’est un outil qui, par le biais d’une approximation collective de groupe, partant du flou vers le son authentique, permet au professeur de gérer progressivement la mise en place du modèle optimal.
Une autre application possible de l’art oratoire que nous promouvons est son réinvestissement dans le domaine professionnel. C’est le cas du FOS et du FOU qui peuvent y avoir recours pour mieux transmettre des connaissances non linguistiques lors d’un cours en français. Sont en jeu dans ce cas l’orateur lui-même, la façon dont il est entendu et compris, sa présence, ses atouts personnels et le fait de « passer la rampe ». La formation s’inscrit dans le domaine disciplinaire et ne repose que sur des ressources professionnelles ; dans ce cadre, elle vise des compétences d’acteur, telles que maintenir l’attention et avoir une bonne tenue de voix, mais aussi des compétences propres à communiquer efficacement, dans le domaine en cause, avec son public étudiant. C’est pourquoi, une fois que le professeur s’est approprié les bases techniques, le travail de fond consiste à adapter son discours au public et à ses capacités d’écoute, à la situation spatiale et technique : parler dans un micro face au public ne demande pas les mêmes compétences que présenter un support visuel de profil et en plan d’ensemble ; prendre la parole dans un amphithéâtre est autre chose que d’expliquer une expérience sur une paillasse, avec les étudiants regroupés autour de soi, etc.
Reste en face : l’étudiant, ce qu’il entend et ce qu’il a entendu. La réception d’un message oral, l’intelligibilité des informations se passent difficilement de leur restitution ce public. L’exploitation d’une formation à l’utilisation des techniques oratoires, en FOU, c’est le traitement de l’information orale reçue par les étudiants : l’entraînement des étudiants à la prise de notes orales et à leur mémorisation, préférablement commune ; la restitution orale avant que d’être écrite. Avec ces moyens techniques, la langue de cours entre dans un « sonore » maîtrisé par le professeur et les étudiants.
LA MISE EN SCÈNE D’UNE ŒUVRE THÉÂTRALE EN COURS DE LANGUE
La mise en scène en FLE ou en FLM, telle que nous l’avons expérimentée en France et à l’étranger, est une nouvelle forme d’appréhension du texte et un nouveau projet pédagogique.
L’objectif est la représentation publique d’une œuvre du patrimoine par les apprenants. Si ce qui relève des activités ludiques et des techniques oratoires peut être utilisé à tous les niveaux du CECRL (Cadre européen commun de Référence pour les langues), la mise en scène d’une œuvre n’est possible qu’à partir d’un niveau B2-C1. Nous alléguerons non seulement les difficultés linguistiques, mais aussi le fait qu’il s’agit d’une tâche collective de longue haleine, avec des responsabilités partagées et un engagement de chacun envers le groupe. Sa réussite demande la répartition dans le temps des activités et la définition et l’attribution de responsabilités partagées : il importe que chacun ait sa place et son rôle dans la construction de la représentation.
Pour ce qui est des étapes incontournables, elles interfèrent les unes avec les autres sans pour autant se succéder. Certaines de ces étapes sont classiques : compréhension de l’histoire, articulation des événements et didascalies, repérage des actes et des scènes, découverte des personnages et caractérisation. D’autres épisodes de travail sont plus techniques : passage de la lecture silencieuse à l’oralisation, mise en voix, appropriation et maîtrise des sons, projection de la voix dans l’espace. Quant aux coupures, à la réécriture et aux adaptations, elles sont structurées au fil des répétitions.
Le travail d’acteur engage le corps et la production orale dans la perception d’un nouvel espace, c’est pourquoi la première étape pour le formateur est la plus difficile : faire passer les apprenants de l’espace classe à l’espace scène, les faire « monter » sur scène pour entrer dans le rôle de l’acteur. Moment difficile à plusieurs égards : l’acteur est celui que l’on voit et qui se sait vu, il est au centre d’un dispositif scénique qui suppose s’orienter sur scène, repérer de nouvelles frontières d’action et de parole, mémoriser les entrées et les sorties, connaître les limites du plateau, etc.
Reste enfin l’organisation du groupe autour d’une multiplicité de tâches intermédiaires et contextualisées qui convergent toutes vers la représentation finale. Chacun doit avoir un rôle attribué, quitte à inventer de nouvelles fonctions si le groupe est important. Conjointement à une distribution classique, comportant souffleurs, D.J., doublures, accessoiristes, maquilleurs, etc., la création d’un groupe « minutage » est par exemple possible pour la tenue du rythme de la pièce, les enchaînements, les reprises, tout ce qui donne finalement l’harmonie et la cadence du texte oral. On peut aussi imaginer le groupe « le public du dernier rang », chargé de vérifier la bonne portée et la tenue des voix, leur retour, la vitesse d’élocution, etc. Toutes ces fonctions aboutissent à traiter la production orale de façon collective et dans sa relation avec des composantes nouvelles, spatiale, acoustique et temporelle. Réception par le groupe du phrasé et de la gestuelle construite par la mise en scène commune, la mise en scène-FLE est l’appropriation d’une œuvre et sa transmission orale. C’est la parole de la littérature réexprimée par le groupe.
Le théâtre en tant qu’activité pédagogique en cours d’oral avec ses différentes facettes, a le grand intérêt, hormis les extraordinaires progrès que l’on constate dans les compétences langagières, culturelles et de communication, de développer de nouvelles aptitudes à parler. A être oralement. Quelle que soit la façon dont on l’intègre à un cours, cours de français ou bien cours en français, les activités ludiques théâtrales, l’art oratoire, la mise en scène, sont des approches didactiques qui mettent en jeu l’aspect sonore de la langue, ouvrent la voie à une réflexion portant sur une nouvelle compétence : « Passer la rampe », oser.
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